Les Émotions

Concept

Les émotions sont une notion importante de la démarche éducative. Dans ce monde devenu si impersonnel, apprendre à gérer ses émotions, tout comme ses besoins, est devenu la clef d’un vivre ensemble qu’il nous faut, parfois, redécouvrir. Il est loin, le temps où les hommes conversaient en face à face, soucieux de décrypter chez l’Autre les signes non verbaux de la communication véritable. L’intelligence artificielle a clôturé ce chapitre en conditionnant nos Inter-Personnalités.

Les émotions sont un ensemble naturel de ressentis psychologiques et physiques qui nous donnent des informations sur une situation vécue (Guillaume Wattier).  Elles sont provoquées lorsqu’on se confronte à cette situation et lorsqu’on interprète sa réalité. Elles nous poussent à réagir en fonction de nos besoins (Abraham Maslow, 1943) et de nos valeurs. Même si elles sont propres à chaque individu (Rosalind Picard), elles sont surtout innées, universelles et communicatives (Charles Darwin,1992).

Comment définir l’émotion ?

Selon l’analyse comportementale, il est vain de trouver une définition unique de l’émotion. C’est donc dans sa pluralité que nous trouverons réponse à notre question :

  • Du point de vue comportemental : l’émotion est un motivateur qui influence le choix d’un individu. Il est la réponse à une manifestation interne (en soi) qui génère une réaction extérieure (hors de soi).
  • Du point de vue socioculturel : l’émotion est la réponse à une interaction avec nous-mêmes ou avec l’Autre.
  • Du point de vue évolutionniste : l’émotion est une faculté d’adaptation et de survie de l’organisme vivant (Charles Darwin, 1992).
  • Du point de vue psychologique : l’émotion nous renseigne sur notre identité profonde (Guillaume Wattier).

Comment prendre en charge nos émotions, cette notion non quantifiable ?

Contrôle

Nous savons aujourd’hui que le développement de nos potentiels innés est conditionné par la qualité de notre environnement (Céline Alvarez, 2016). C’est donc au niveau éducationnel et sociologique que cela se passe. Ces notions, normalement apprises lors de la prime enfance au cœur des familles, tentent de s’amenuiser. Ces concepts devenus flous ne pèsent plus très lourd dans une aire où les réseaux sociaux se sont approprié nos liens personnels. Certains diront qu’il subsiste les émoticônes. Mais n’est-ce pas là encore  des témoins de nos solitudes relationnelles ?

Il existe 4 notions sur lesquelles nous n’avons pas de contrôle direct. Ces notions, incertaines s’il en est, sont pourtant les clefs de mondes intérieurs qui méritent de s’interroger  :

  • Les pensées : Il s’agit d’une activité psychique qui élabore des images, des sensations et des concepts en réponse à ce que nous percevons avec nos sens. Ces idées qui voyagent dans notre tête lorsque nous cogitons sont difficilement maitrisables.
  • Les souvenirs : Il s’agit d’éléments conservés dans notre mémoire, des objets du passé, qui resurgissent parfois inopinément. Ces expériences de notre histoire remontent bien souvent sans crier gare.
  • Les émotions : Il s’agit d’une réaction affective transitoire provoquée par une stimulation venue de notre environnement.
  • Les rêves : Il s’agit d’une activité psychique produite au cours du sommeil, accompagnée d’images et de sentiments, témoins de la vie affective du rêveur.

Quelles sont ces émotions qui conditionnent nos vies ?

Émotions de base

Je note 4 grandes émotions de base : la peur, la colère, la tristesse et la joie.

  • La Peur : Elle nous informe du danger. Elle peut passer de l’appréhension à la panique. Elle nous pousse à la fuite (vers la tristesse), l’attaque (vers la colère) ou à l’immobilité (vers la peur). Elle appelle à la protection.
  • La Colère : Elle nous informe que nos besoins (Écoute, Respect, Liberté, Sécurité, etc.) ne sont pas satisfaits. Elle peut passer de l’irritation à la furie. Elle appelle à la réparation et au changement.
  • La Tristesse : Elle nous informe d’un changement ou d’une perte (décès, déménagement, voyage, …) Elle peut passer du  chagrin au désespoir. Elle appelle au réconfort et à l’acceptation du changement.
  • La Joie : Elle nous informe que la situation vécue nous fait du bien (retrouvailles, fête, …) . Elle peut passer du contentement à l’extase. Elle nous pousse à renouveler l’expérience et à partager.
Carte socialisation 32 - Les émotions

Termes spécifiques

Dans le cadre de nos recherches, nous pouvons différencier les termes liés à l’intelligence émotionnelle (Marc Brakett) .

  • L’Émotion : C’est une réponse automatique, de courtes durées, à un stimulus interne ou externe qui cause un changement à plusieurs niveaux : cognitif (je pense différemment), physiologique (je me sens différent intérieurement), expressif (je change mon comportement, j’exprime visuellement), ou comportemental (j’agis différemment). EX. Surprise, désire, etc.
  • Le Sentiment : C’est une expérience privée et subjective à une situation, de plus longue durée. Ex. Amour, confiance, etc.
  • L’Humeur : C’est un état mental avec des changements physiologiques perceptibles, moins intense, mais d’une durée plus longue. EX. enjoué, combattif, austère, conciliant, etc.

Comment faire de nos émotions des alliées plutôt que des ennemies ?

Humeuromètre

Le Mood meter est une appli (http://moodmeterapp.com/) imaginée par Marc Brackett qui encourage l’utilisateur à identifier ses humeurs en fonction des causes qui l’entrainent. Ci-dessous, j’ai traduit la base de données de l’appli. Au centre se trouve la neutralité émotive, le juste bien-être. Plus on s’éloigne vers les extrêmes, plus on atteint des humeurs marquées.

Deux axes contrôlent le panneau de commande.

  • L’axe de l’Énergie part d’une énergie faible (en bas du tableau) et monte vers une forte énergie (en haut du tableau)
  • L’axe de l’Humeur part d’une humeur désagréable (à gauche du tableau) vers une humeur plaisante (à droite du tableau)

Action

Afin de cohabiter au mieux avec nos émotions, il est bon de les vivre pleinement et surtout de pouvoir les exprimer. Or, garder l’équilibre entre les informations reçues de notre environnement et la réaction qu’elles entrainent en nous-mêmes est souvent compliqué. Nous pouvons, malgré tout, garder la main sur nos conflits intérieurs en préconisant l’ouverture de soi et l’entrainement de la pensée à voir ce qui est positif dans chaque situation.

Notons ces quelques pistes intéressantes pour gérer nos émotions :

  • Exprimer : Éviter que les émotions ne s’accumulent en nous en les exprimant. Je peux formuler une demande par rapport à mes besoins non reconnus. Je peux exprimer mon ressenti lorsque l’émotion m’envahit.
  • Contrôler : Éviter les actes impulsifs en gardant notre self-contrôle. J’évite de m’exprimer avec impulsivité et de manière incontrôlée.  Ceci peut entrainer chez moi de la culpabilité et de la rumination.
  • Tolérer : Éviter l’intolérance en acceptant que l’Autre puisse penser autrement. J’ai un regard sur mon seuil de tolérance.
  • Lâcher-prise : Éviter l’épuisement en ne mettant pas nos émotions de côté en nous battant contre elles. J’exprime mes émotions ou je lâche-prise sur elles. J’évite ainsi l’épuisement psychologique et physique.
  • Se sevrer : Éviter de tomber dans le piège des consommations de substances néfastes comme l’alcool, la cigarette, la drogue, les médicaments, etc. Je repousse au plus profond de moi mes émotions grâce à ces substances, mais ne fais que reporter le problème.
  • Positiver : Éviter l’encouragement des idées négatives, favoriser la méthode Coué et avoir un regard positif sur soi : Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux (Émile Coué).

Canalisation

Une autre manière de vivre au mieux ses émotions est de les canaliser. Nos émotions négatives, celles qui consomment notre énergie, celles qui nous entrainent vers une humeur désagréable, peuvent être, sinon domptées, du moins endiguées. Des stratégies peuvent être mises en place afin de calmer les ardeurs de nos émotions violentes, comme la méditation.

À l’École Autrement, outre l’enseignement de la gestion des émotions et celle du conflit qui en découle, nous faisons défiler une série d’images positives tout au long des séances de cours afin de sensibiliser les élèves à cette gestion positive continue et délibérée.

Les images du tableau ci-dessous, accompagnées de leurs citations, ont pour objectif de réguler les émotions négatives de nos jeunes. Par exemple, lorsque nous désirons provoquer une joie (en jaune dans l’humeuromètre), nous pouvons puiser, dans la colonne « je partage ma joie », des encouragements à remonter la pente. Ce tableau est une sorte de manne dans laquelle je peux puiser, personnellement, en cas de dérive.

Je calme la colère

Je partage  la joie

Je réconforte la tristesse

je protège la peur

Sanction et réparation

Un besoin non reconnu entraine une émotion qui crée le conflit en nous ou avec l’Autre. L’acte qui s’en suit nous mène dans la spirale de la violence, entrainant l’Autre dans cette même révolution par la non-reconnaissance de son propre besoin. L’acte violent demande réparation. Il s’agit, aux yeux de la communauté, d’un acte demandant une sanction éducative.

Les premières lois et les premiers codes moraux – celui d’Hammourabi, les dix Commandements et les édits de l’empereur Ashoka – sont à prendre comme des tentatives pour canaliser, maitriser et domestiquer les passions humaines (Daniel Goleman,1998) . La société a été obligée d’imposer à l’individu des règles destinées à contenir le déchainement trop facile des émotions (Sigmund Freud, 1989). Il en est de même pour la sanction éducative. Elle a pour but la sensibilisation de la personne ayant commis une violation de la Loi. Elle sépare l’acte de la personne : elle permet à l’auteur de l’acte de ne pas être identifiée à son acte : Tu as volé, mais tu n’es pas un voleur. Une fois ton acte puni, tu reviens dans le groupe lavé et pardonné.

Ateliers éducatifs

Or, nous naissons avec une prédisposition innée à communiquer, à ressentir une large gamme d’émotions et à les réguler en cas de besoin. Nous naissons même avec des capacités empathiques, une intuition morale et un sens de la justice profond (Céline Alvarez, 2016). C’est pour cela qu’au-delà de la sanction, il y a la réparation : l’élément qui permet le retour au groupe. C’est en ce sens que les retenues et les jours de renvoi doivent être abolis. Ces démarches sanctionnantes ne font qu’agrandir encore le gouffre entre l’école et les familles. Ils engendrent un décrochage scolaire par le dégoût et l’incompréhension du jeune puni. Aujourd’hui, la punition doit être remplacée par des Ateliers Éducatifs.

Mon expérience personnelle m’a dicté la création de ce type d’ateliers au sein de notre école. Nous les appelons Ateliers du Mercredi. Ce sont des ateliers où nous cherchons, avec les jeunes en difficulté, de nouvelles pistes pour gérer nos débordements émotifs.

Rapport aux émotions

Il reste à noter que nous ne sommes pas égaux face à nos émotions. Chacun a un rapport très privilégié avec son espace intérieur qu’il ne nous appartient pas de franchir. Le dialogue se passe entre hyperémotivité et insensibilité, même si certains oscillent péniblement aux extrémités de ce cadran sensoriel, rendant compliquées certaines interactivités. Notons alors ces quatre catégories de comportement, parmi d’autres, classées selon leur rapport aux émotions :

  • L’hyperémotivité : Lorsque nous laissons les émotions guider notre vie. Je subis mes émotions qui contrôlent ma vie. Je vis intensément chaque moment, avec tous mes sens.
  • L’inflexibilité : Lorsque nous contrôlons raisonnablement nos émotions. Je suis capable de soustraire mes émotions lorsque c’est nécessaire. Je différencie les temps d’amusement et ceux liés au projet.
  • L‘apathie : Lorsque nous bridons nos émotions. Je ne donne pas libre cours à mes émotions. Je cadre mes actions pour éviter toute dérive.
  • L‘insensibilité : Lorsque nous n’éprouvons pas d’émotions. Je n’éprouve pas d’émotion. Je reste indifférent. Les émotions sont une faiblesse de caractère.

Intelligence émotionnelle

Par ailleurs, l’intelligence émotionnelle est une réalité tangible tout comme l’intelligence collective qui ne se mesure pas comme la somme des intelligences individuelles, mais est plutôt liée aux capacités d’interactions et de synergies. Leurs principes sont liés à l’humain plus qu’aux compétences purement « intellectuelles ». Les composantes de l’intelligence émotionnelle sont liées à la conscience de soi, la gestion de soi, la conscience sociale et la gestion sociale (Daniel Goleman, 1998). Il est temps d’en tenir compte dans nos enseignements.

Ces formes d’intelligences, remisées par notre société consumériste, sont pourtant les clefs qui ouvrent à la coopération et à l’épanouissement tant de l’individu que de la collectivité. Comprendre nos émotions comme des outils guidant toutes démarches est l’occasion donnée à notre civilisation de vivre ensemble. Enseigner la gestion des émotions, c’est promouvoir le vivre ensemble. Vivre avec nos émotions c’est revenir à l’humain.

J-L. Carels

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